« La création théâtrale dans nos démocraties » le 1er février 2014

« La création théâtrale dans nos démocraties »
Une journée d’ateliers et de débats proposée par le Bureau des Compagnies de Théâtre

Invités : PASCAL BELY, spectateur, blogueur. FRANCOIS RIBAC, compositeur de théâtre musical et maître de conférences à l’Université de Dijon. CHRISTIAN RUBY, philosophe, enseignant à Paris. DANIEL URRUTIAGUER, maître de conférence en études théâtrales à Paris III, spécialiste en socio-économie du spectacle vivant.

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En guise de compte rendu de cette journée, nous publions l’article paru dans le numéro 9 du « BRIGADIER » Magazine / les arts de la scène passés en revue / mars-avril 2014

Le 1er février dernier s’est tenu à Toulouse une journée intitulée « la création théâtrale dans nos démocraties », initiée et organisée par le Bureau des Compagnies de Théâtre. Y participaient des artistes, des programmateurs, des universitaires, des représentants de spectateurs et des pouvoirs publics. Le metteur en scène Céline Astrié, elle, co-animait les débats aux côtés de Joël Lecussan. Elle nous livre ici sa réflexion à l’issue de ces rencontres.

L’histoire qui lie le théâtre à la démocratie est longue, elle est aussi le fruit d’un récit. Du rapport fondateur, devenu quasi mythologique, dans l’Athènes antique entre le théâtre et la démocratie, en passant par la Révolution française qui a vu naître le statut public et émancipateur de l’œuvre et de l’artiste sous le nom de « culture », par celui de la démocratisation culturelle, nous assistons à une réinterprétation souvent a posteriori de ce qui s’est joué. C’est-à-dire au récit historique des liens entre théâtre et démocratie, entre un spectateur et une œuvre, entre un artiste et la « cité » ou le peuple. Tout ceci pour dire que lors de ces rencontres du 1er février, et notamment grâce aux contributions éclairées des intervenants1, nous avons pu constater qu’il n’existait aucun lien évident ou invariable entre tous ces termes.

Comment se tissent les rapports entre l’activité humaine qu’est la création, ici théâtrale, et le partage commun que dessine un régime politique démocratique ?

Un fonctionnement pyramidal sclérosé

Cette question a été abordée depuis le contexte actuel français, sachant que celui-ci hérite d’une histoire qui s’inscrit dans le processus de la mondialisation. Les objectifs et les enjeux des politiques successives ont induit certaines conceptions de la démocratie, de la fonction d’une œuvre dans l’espace public et du statut de ses spectateurs. Les premiers temps de la décentralisation ont participé de la consolidation d’une identité culturelle et d’un rayonnement de la nation française. La démocratisation culturelle qui lui a succédé s’est notamment construite sur le préjugé d’une inégalité : quelque chose manque ou manquait au public concerné. Le modèle français et celui de son « exception culturelle » en disent long sur la généalogie d’un système « exemplaire » construit sur des inégalités. Cette expression laisse aussi entendre qu’il existerait des modèles en matière de culture et de financement de celle-ci. Elle indique de manière implicite et malheureuse qu’il existerait des « sous-cultures ». Ce qui pose question, ce n’est pas tant que la puissance publique participe à la vie de la création et à l’investissement « culturel », c’est qu’elle prône l’égalité par l’accès à une culture déjà normée par des critères venant « d’en haut ». Aujourd’hui de l’autre côté, les équipes artistiques sont soumises à une logique concurrentielle de production qui résulte d’une sélection très rude liée au fait que la logique de service public s’est imbriquée dans une logique de marché. Le critère d’excellence, toujours d’actualité, institue la valeur esthétique comme un référent reconnaissable, mesurable et donc comme une valeur d’échange. Les liens entre artistes, institutions, producteurs et diffuseurs deviennent de plus en plus ténus du fait d’un nombre croissant de compagnies, de propositions et d’un fonctionnement pyramidal sclérosé.

D’autres liens et de nouvelles formes d’économie

À la suite de ce constat rapidement évoqué, comment se dessine aujourd’hui ce lien entre le partage démocratique et la création théâtrale ? Il apparaît que création théâtrale et démocratie sont deux termes qui supportent mal les modèles. Sous des angles aussi différents et complémentaires qu’économiques, esthétiques, sociologiques, politiques et philosophiques, leur sens et leur rapport est en devenir perpétuel. Des dispositifs se créent dans la déconstruction de modèles et l’élaboration d’alternatives croisant différents points de vue : celui des équipes artistiques, des spectateurs, des programmateurs, des chercheurs, des pouvoirs publics. Les fabriques de la création et de la programmation apparaissent comme de grandes toiles, avec leurs centres névralgiques, leurs périphéries, leurs « banlieues », leurs réseaux de circulations des œuvres, à travers lesquelles se fraient des trajectoires de spectateurs, se déplacent les rapports, les esthétiques qui, au-delà des questions de formes, réengendrent, reconfigurent nos rapports avec nous-mêmes, les autres et le monde. C’est notamment ce que nous avons pu saisir lors de l’atelier concernant les spectateurs. Des micros-politiques et de nouvelles formes d’économies voient le jour non pas en marge d’un système, mais à l’intérieur et autour de celui-ci comme autant de nouvelles perspectives. Deux exemples, non exhaustifs, les AMACCA – Associations pour le Maintien d’Alternatives en matières de Culture et de Création Artistique, qui voient le jour en France sur le modèle des AMAP. Autre initiative, celle du Créa’fonds en Aquitaine « un collectif d’accompagnement technique et financier de la production dans le domaine du spectacle vivant » : « composé de structures unies par leur volonté de s’impliquer dans une démarche solidaire et innovante autour de la création, il regroupe aujourd’hui en Gironde, des opérateurs culturels publics, des compagnies artistiques, et des organismes privés ».

À l’aune de ces constats, c’est aussi la question de la res-publica, la chose-publique devenue République, qu’il convient de questionner à nouveau. Où se situe-t-elle ? Qu’elle forme prend-elle ? Quels en sont les acteurs ? Pour quelle trajectoire ?

Le BCT, à l’origine de cette rencontre, s’engage visiblement à poursuivre ces réflexions et ces débats, lesquels participent de la co-construction de nouveaux dispositifs d’accompagnements de la création artistique, mais aussi de nouveaux liens.

Céline Astrié

Partenaires : la DRAC Midi-Pyrénées, la Mairie de Toulouse, ARTfactories/Autre(s)pARTs, le Conservatoire d’art Dramatique de Région, le COUAC, la librairie Oh les beaux jours, le Ring, la Cave Poésie-René Gouzenne, la FNCTA, le restaurant Le bol rouge.

Matinée 10h – 12h30 / ATELIERS :

Introduction de la journée par le BCT

Atelier 1 – Le spectateur-citoyen en question

« Une expression traverse désormais les discours politiques, artistiques et esthétiques du temps : citoyenne spectatrice ou citoyen spectateur. Il nous paraît nécessaire d’interroger cette expression et d’examiner ce qu’elle retient ou ce qu’elle promeut, les nostalgies qu’elle renforce ou les ouvertures qu’elle promet. Cette expression peut avoir un usage négatif et un usage positif. Chacun doit se déterminer par rapport à ces usages. Nous proposons de lancer la discussion sur ce plan et d’esquisser les possibilités auxquelles elle donne lieu. » Christian Ruby.

Avec Pascal Bély, Christian Ruby

Atelier 2 – Politiques culturelles et valorisation de la production des compagnies théâtrales

« La reconnaissance juridique et politique d’une mission de service public s’est construite autour de la légitimité d’une articulation entre un soutien aux exigences artistiques et la recherche d’une démocratisation culturelle. La logique de service public entre en imbrication avec celle du marché puisque les jugements sur la valeur esthétique des spectacles par les prescripteurs professionnels (programmateurs, journalistes culturels, experts des collectivités publiques) influencent leur valorisation monétaire. Dans un contexte de stabilisation, voire de baisse, des dépenses culturelles publiques, la concurrence entre les compagnies s’intensifie pour accéder aux réseaux de diffusion des établissements labellisés et aux subventions étatiques. La diversification de l’offre théâtrale pose des questions sur les modes envisageables de coopération entre les compagnies, les collectivités publiques, les établissements culturels, les lieux non artistiques, la population, qui feront l’objet des échanges au cours de l’atelier. » Daniel Urrutiaguer.

Avec Daniel Urrutiaguer

Atelier 3 – La fabrique de la programmation culturelle

Présentation par François Ribac (compositeur et sociologue) d’une enquête menée (avec Catherine Pessin, sociologue) de 2011 à 2013 et soutenue par la Région Pays de la Loire, la Ville de Nantes et le DEPS. La politique culturelle en France est souvent assimilée à l’offre publique de spectacles, qui n’a cessé de s’étoffer. De ce fait, les programmateurs-trices sont des acteurs essentiels puisqu’ils-elles convertissent un lieu, un artiste, une œuvre, en intérêt général. Au terme d’une enquête de deux ans, François Ribac dressera les contours de cette expertise et  la place de la programmation de spectacles dans la mise en œuvre de la politique culturelle publique.
Page Facebook dédiée à la recherche : https://www.facebook.com/LaFabriqueDeLaProgrammationCulturelle?skip_nax_wizard=true

Après-midi 14h30 – 18h / DEBAT

« La création théâtrale dans nos démocraties », animé par Céline Astrié et Joël Lecussan.

1 / Ouverture par un des animateurs du débat
2 / Compte-rendu des ateliers de la matinée par le BCT
3 / Débat avec la salle et les participants

Clôture de la journée /

Conclusion, mise en perspective par le BCT
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Infos pratiques /
Date : samedi 1er février 2014
Lieu : Espace Duranti – Salle Osète, 6 rue du lieutenant Pélissier 31000 Toulouse
Accès : Ligne A Métro Capitole
Horaires : de 10h à 18h

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BIOGRAPHIES et BIBLIOGRAPHIE des intervenants

Pascal Bely – blogueur
« J’ai 48 ans, je vis à Aix en Provence où j’ai installé mon cabinet de consultant depuis 1994 (www.trigone.pro). Enfant d’ouvriers, ce sont les enseignants qui m’ont transmis par la culture les valeurs républicaines. Adolescent, j’ai joué dans un court métrage puis au théâtre avec le metteur en scène montalbanais François-Henri Soulié. Cette expérience initiatique a profondément marqué mon rapport à l’art en y ancrant les émotions de l’enfance. C’est tardivement, à 36 ans, que j’ai découvert mon premier spectacle de danse avec les Ballets Preljocaj (« Paysage après la bataille »). Cette révélation fut le début d’un parcours de «spectateur consommateur» jusqu’en 2005, où le chorégraphe Jérôme Bel provoqua la rupture avec «The Show must go on». En interrogeant avec provocation, humour et respect, la place du spectateur, cette œuvre fut à l’origine  en 2005, du blog «LE TADORNE»,  http://www.festivalier.net »

Pourquoi le blog « le tadorne » ?

«Le Tadorne», créé en juillet 2005, est un espace d’écriture, à partir duquel nous partageons nos analyses sur le spectacle vivant. Il est le carnet de voyage du Tadorne, « oiseau migrateur sociable »  qui d’Avignon, à Montpellier, en passant par Paris, Bruxelles, Berlin, Bruxelles retranscrit 130 spectacles annuels (théâtre, danse, performances, concerts, expositions).
Au 1er septembre 2013, le blog totalise 1171 articles.
La danse y occupe une place majeure (environ 40%) ; depuis 2006, le blog s’est ouvert à l’art contemporain (Münster en Allemagne, le Printemps de Septembre à Toulouse, la Documenta à Kassel) et la photographie (Arles).
Ce blog promeut la visibilité de la parole des spectateurs sur la toile internet et le maillage entre artistes, publics, institutions en dehors des liens verticaux dans lesquels ils s’inscrivent habituellement.  Il se veut subjectif et complémentaire avec les critiques professionnels. Cette posture justifie qu’en général nous payons nos places.
La fréquentation du blog est en progression continue depuis sa création (5500 visiteurs en 2005, 10 000 en 2006, 25 000 en 2007, 35 000 en 2008, 40 00 en 2009, 67 000 en 2010, 68 000 en 2011, 70 000 en 2012) avec aujourd’hui un réseau de 550 abonnés à la newsletter. Il est aujourd’hui reconnu par  la presse et les artistes. Les professionnels du spectacle vivant l’identifient comme un blog de spectateurs engagés.
« Le chemin se fait en marchant »

L’écriture d’un blog facilite un positionnement différent du spectateur : aux jugements de valeur des premiers articles se substitue un regard plus circulaire où les ressentis s’intègrent dans un contexte plus large, où l’écriture est à la fois poétique, engagée et conceptuelle. Les festivals et les fins d’année permettent de relier les œuvres entre elles à partir de bilans où nous interrogeons le projet global des institutions culturelles tout en identifiant les questions posées par les artistes.
Depuis 2009, le Festival Off d’Avignon nous a confié l’animation de rencontres avec les spectateurs («Les Offinités du Tadorne») où nous questionnons nos motivations et nos traversées dans cette programmation foisonnante.

François Ribac est compositeur de théâtre musical et maître de conférences à l’Université de Dijon.
Il est l’auteur d’une dizaine de spectacles musicaux (dont 6 opéras) et de musiques pour la télévision. Il a publié en 2004 L’avaleur de rock (Éditions La Dispute) et en 2011 Les Stars du rock au cinéma (Armand Colin).
Ses travaux portent sur l’expertise profane et professionnelle en matière de culture, l’histoire et la sociologie des techniques et de la musique.

Christian Ruby
Christian Ruby, philosophe, docteur en philosophie, enseignant (Paris), spécialisé dans la constitution d’une histoire culturelle et européenne du spectateur. Derniers ouvrages parus sur ce thème du spectateur : L’Archipel des spectateurs (Besançon, Editions Nessy, 2012) ; La Figure du spectateur (Paris, Armand Colin, 2012). Il a été le coordinateur de la publication récente : Figures de spectateur, revue Raison présente, octobre 2013.
Derniers ouvrages publiés : La Figure du spectateur (Armand Colin, 2012) ; L’Archipel des spectateurs (Nessy, 2012) ; L’Interruption. Jacques Rancière et la politique (La Fabrique, 2009) ; Devenir contemporain ? La couleur du temps au prisme de l’art (Le Félin, 2007) ; L’âge du public et du spectateur. Essai sur les dispositions esthétiques et politiques du public moderne (La Lettre volée, 2006) ; Schiller ou l’esthétique culturelle. Apostille aux Nouvelles Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (La Lettre volée, 2006) ; Nouvelles Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (La Lettre volée, 2005).

Daniel Urrutiaguer
Ancien élève d’HEC, agrégé de sciences sociales, il est maître de conférences habilité à diriger les recherches à l’Institut d’Études Théâtrales de l’université de la Sorbonne Nouvelle – Paris 3.
Ses recherches dans le domaine du spectacle vivant sont plutôt orientées vers la compréhension socioéconomique des interactions entre les établissements culturels, les compagnies, les artistes, les collectivités publiques et le public ainsi que des processus de valorisation de la production artistique.
Bibliographie sélective
Les professions du spectacle vivant. Entre les logiques du marché et du service public, Paris, Armand Colin, 2012
avec Philippe Henry, Cyril Duchêne, « Territoires et ressources des compagnies en France », Cultures Etudes n° 2012-1, Paris, Deps-MCC, 2012
[URL : http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Articles/Culture-etudes-2012-1%5D
« Les visions d’un théâtre populaire à Aubervilliers sous les directions de Gabriel Garran et de Didier Bezace », L’Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, Ottawa, CRCCF et Montréal, SQET, n°49, printemps 2012, p. 93-111
« Theatre », in Ruth Towse (dir.), An Handbook of Cultural Economics, Chentelham, Edward Elgar, 2011, p. 420-424
« Généalogie de la politique culturelle », Registres n°15, 2011, p. 9-15
avec Cécile Schenck, « La danse entre institutionnalisation et logique marchande », Registres n°15, 2011, p. 88-96
« Résidences d’artistes et implication culturelle de la population locale. L’exemple du Forum de Blanc-Mesnil », dans Françoise Liot (dir.), Projets culturels et participation citoyenne. Le rôle de la médiation et de l’animation en question, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 115-127
« Le projet « Nouvelles écritures scéniques » : de nouvelles relations entre artistes et population ? », Africultures n°80-81, 2010, p. 66-74
Economie et droit du spectacle vivant en France, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2009
«  Politiques du spectacle vivant en France et désenchantement des mondes de l’art », Communications, n°83, 2008, p. 13-22
« Interdisciplinarité artistique et construction de l’identité » , Registres, n°13, Presses de la Sorbonne Nouvelle, printemps 2008, p. 27-34

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